Le concentré de production, distribué au-delà de la ration de base équilibrée, constitue une part importante du coût d’alimentation. Sa réduction, voire sa suppression, peuvent donc être un levier d’amélioration de l’efficacité économique de l’exploitation. C’est pourquoi deux essais de 3 années ont été conduits simultanément sur 2 troupeaux différents à la station de Trévarez : un premier de modulation du concentré au cours de la lactation et un second d’apport supplémentaire en milieu et fin de lactation. 245 lactations ont ainsi été valorisées. En moyenne, l’efficacité du concentré de production s’est située aux alentours de 0,5 kg de lait produit par kg de concentré apporté. Elle n’a pas varié selon le stade de lactation, la parité ou le potentiel laitier des animaux. Avec ces résultats, le prix d’intérêt du concentré de production varie entre 70% et 80% du prix de vente du lait.
Durant 8 semaines, en période hivernale, l’impact de l’ajout de bouchons de luzerne déshydratée a été évalué sur une ration de base composée de 5 kg de MS d’ensilage de maïs et d’ensilage d’herbe précoce apporté à volonté. Seuls 0,9 kg bruts de céréales complétaient les fourrages au robot de traite.
La marge sur coût alimentaire a été calculée à partir des performances zootechniques et a permis de déterminer dans quelles conditions il est intéressant d’acheter de la luzerne déshydratée. Une simulation a été réalisée pour évaluer l’intérêt de produire de la luzerne sur son exploitation lorsque cela est possible et que l’on est à proximité d’une usine de déshydratation.
Distribuer 3 kg bruts de bouchons de luzerne déshydratée à 18 % de MAT a un effet bénéfique sur l’ingestion totale (+ 2,9 kg MS/VL/jour). Les vaches ingèrent les bouchons en plus du reste de la ration. L’équilibre énergie/azote (+ 8 g PDI/UFL) de la ration hivernale se trouve amélioré, mais la luzerne entraine une déconcentration de la ration en énergie (- 0,03 UFL/kg MS). Cependant, les vaches recevant la luzerne ayant ingéré davantage, elles ont au total ingéré plus d’énergie (+ 1,9 UFL/jour) et plus de PDI (+ 285 PDIE/jour). Ce supplément d’ingestion est peut-être à l’origine de la moindre perte de poids constatée sur les animaux ayant reçu de la luzerne.
L’apport de luzerne déshydratée a eu un impact significatif sur la production laitière : + 1,9 kg/VL/jour. Par contre, aucun impact significatif n’a été mesuré sur les taux (tableau 1).
Pendant les 2 semaines qui ont suivi l’arrêt de l’apport de bouchons de luzerne, les vaches du lot luzerne ont continué à ingérer plus (+ 1,4 kg MS/VL/jour) et ont produit significativement plus de lait (+ 1,3 kg/VL/jour).
Cas 1 : achat de luzerne
A partir des performances zootechniques mesurées, la marge sur coût alimentaire a été calculée avec différents contextes de prix du lait et de prix d’achat de la luzerne. La simulation a été réalisée à partir des données de Trévarez, en considérant un troupeau de 75 VL avec 25 % de primipares, utilisant de la luzerne pendant 3 mois d’hiver. Le prix d’achat des bouchons de luzerne ne devra pas dépasser 60 % du prix du lait pour que l’achat reste rentable (tableau 2).
Comment lire ce tableau : pour un prix du lait à 450 €/ 1000 l, le prix de la tonne brute de luzerne déshydratée ne doit pas dépasser 270 € pour que son utilisation reste rentable
Cas 2 : production de la luzerne
Des simulations ont été réalisées pour une exploitation bio qui remplacerait une surface initialement destinée à la production de mélange céréalier pour la vente par une culture de luzerne pour être déshydratée et distribuée aux vaches l’hiver (tableau 3). Le bilan économique s’établit de +1.651 € dans le contexte de primes de 2019.
L’essai réalisé à la station de Trévarez a donc montré l’intérêt zootechnique de l’utilisation de la luzerne déshydratée dans les rations hivernales en agriculture biologique. La luzerne permet d’améliorer l’équilibre énergie-azote de la ration, l’ingestion ainsi que les performances laitières des animaux. Par contre, l’intérêt économique n’est pas systématique. L’intérêt d’un achat sera à évaluer en fonction du prix du lait et de la luzerne. La production sur la ferme s’avère, elle, toujours rentable mais est réservée aux élevages à proximité d’une usine de déshydratation.
Cette ration permet de préserver l’autonomie régionale ou nationale puisque la luzerne déshydratée bio est d’origine « France ».
La luzerne présente également un intérêt agronomique dans les rotations en bio
Dans la continuité de l’essai de 2018/2019, une ration comprenant des bouchons de luzerne déshydratée avec ou sans apport de maïs épi déshydraté a été testée l’hiver 2019-2020. Tous les animaux ont reçu la même ration de base, avec de l’ensilage d’herbe précoce à volonté + 5 kg MS d’ensilage de maïs + 3 kg de luzerne déshydratée à 18%de MAT. Les vaches du lot expérimental ont reçu en plus des bouchons de maïs épi (3 kg brut/VL/jour), dans l’objectif d’améliorer la concentration énergétique de la ration. L’apport de bouchons de maïs épi déshydraté, en plus des bouchons de luzerne, permet d’améliorer l’équilibre de la ration et augmente l’ingestion des animaux (+2,7 kg MS/VL/jour). Comme dans l’essai antérieur, les animaux ont ingéré les bouchons de maïs épi en plus des autres aliments sans réduction de l’ingestion du reste de la ration. La production laitière a augmenté significativement à hauteur de + 1,5 kg/VL/jour. L’efficacité des bouchons de maïs épi déshydratés se situe donc à + 0,5 kg de lait par kilo de bouchons de maïs épi déshydraté. Avec un prix d'achat à 447 €/ t brute, la marge sur coût alimentaire est négative. Ainsi, le prix des bouchons de maïs épi ne doit donc pas dépasser la moitié du prix du lait pour que leur achat soit intéressant économiquement pour l’éleveur. Pour un prix du lait à 500 €/1000l, le prix des bouchons devra donc être inférieur à 270 € / t brute pour que l’intérêt économique soit au rendez-vous.
➧ POUR EN SAVOIR PLUS
Cloet E, Brocard V, Pape C, 2020. Une alimentation 100 % française pour les vaches bio en hiver : luzerne et maïs épi déshydratés au banc d’essai, TERRA, 24 avril 2020.
➧ CONTACTS TECHNIQUES
Estelle Cloët
estelle.cloet@bretagne.chambagri.fr
Chambres d'agriculture de Bretagne
Valérie Brocard :
IDELE